Si pubblica in lingua originale la recensione del volume dantesco curato da Bruno Pinchard Œuvres complètes Tome II : Vita nuova / La Vie neuve, edito recentemente a Parigi per i tipi di Classiques Garnier, coll. “Bibliothèque italienne”.
Après avoir proposé une traduction commentée du Convivio en 2023 auprès des éditions Classiques Garnier, Bruno Pinchard a poursuivi son entreprise, qui vise à terme à procurer une nouvelle traduction française des Œuvres complètes de Dante, en publiant en 2024 un second volume, consacré à la Vita Nuova. La particularité de cette édition tient au fait que la philosophie y tient un rôle essentiel. Ce trait la distingue aussi bien de la grande édition d’André Pézard, d’abord attentif aux traits de la civilisation médiévale, que des traductions nombreuses réalisées par des Italianistes désireux d’en restituer la fraîcheur intacte ainsi que d’en éclairer le rapport complexe à la littérature mondiale.
Par “philosophie”, Bruno Pinchard ne veut pas seulement procéder à l’identification d’un certain nombre de lemmes de la Philosophie médiévale, mais cherche à accomplir un geste de fondation qui soumet l’œuvre à une logique spéculative capable de se confronter aux mutations, contradictions, palinodies et retours réflexifs au sein d’une même liberté créatrice. Dans un article paru dans les Études philosophiques en 1995, Pinchard avait parlé à propos de Dante d’un « système de l’amour et de la mort » : il en vérifie le bien-fondé aujourd’hui.
Cette méthode qui s’attache à évaluer l’œuvre de Dante par rapport à une idée de la vérité ne néglige pas pour autant la part philologique du texte. Après avoir suivi, pour le Convivio, l’édition Ageno et le commentaire de Gianfranco Fioravanti, Bruno Pinchard a tiré profit, pour la Vita Nuova, des travaux de synthèse de Donato Pirovano dans son édition de la NECOD. Et c’est une des caractéristiques de cette approche que de discuter les points de philologie les plus aigus, en sorte que le sens de l’ensemble s’en trouve à la fois confirmé et approfondi. C’est pourquoi l’on trouvera une discussion détaillée des choix opérés, aussi bien dans l’Introduction générale que dans l’annotation mot à mot du texte traduit, qu’il soit en prose ou en vers.
L’œuvre se déploie ainsi selon un cycle continu, doté d’un commencement absolu, « Incipit vita nuova », sous les auspices d’une lumière solaire et d’une situation précise dans le mouvement rétrograde du ciel étoilé, pour se poursuivre, au long de péripéties tour à tour passionnées et douloureuses, jusqu’à un deuil qui précipite le poète dans un mutisme qui aurait pu être définitif. Nous savons seulement que cette épreuve finira par l’arracher au cercle florentin des amis et de la famille, pour entrer, au-delà de consolations insuffisantes et frauduleuses, dans une dimension cosmique qui implique toutes les parties de la terre et tous
les moments de son amour. Cet élargissement soudain de l’horizon est si brutal que l’auteur, malgré la mise en œuvre de toutes les ressources d’une poétique forgée dans la suite de Guido Guinizzelli et de Guido Cavalcanti, ne peut en tirer un sens stabilisé sans en appeler à une vision ultime et une promesse irrévocable dont la portée ne peut être entièrement saisie à partir des éléments livrés par l’ouvrage. Et de fait, elle ne s’accomplira qu’au travers d’épreuves personnelles et d’œuvres à venir dont le texte ne livre pas le développement futur.
Dans la lecture de Bruno Pinchard, cette épopée spirituelle annonce, par la précision des étapes traversées, les péripéties d’un esprit occidental conçu comme cycle de mort et de résurrection. Il ne pourra alors être détaché de la hantise du sang, qu’il s’agisse de la couleur de la robe de Béatrice lors de la première rencontre ou de la scène symbolique du Cœur mangé, ou, à la fin du récit, du martyre des yeux de l’amant ou du culte de la Véronique qui vient croiser le deuil de Béatrice. Ce livre écrit sous le registre de la « rubrique » en porte partout la trace.
Cette permanence avait été bien identifiée par Christophe Libaude dans son livre de 2014, Dante la pierre et le sang. Ici Bruno Pinchard s’efforce de l’intégrer à une phénoménologie intégrale de l’amour qui permette de parcourir les pouvoirs de cet « intellect d’amour » dont Dante a fait la découverte lorsqu’il a voulu expliquer à des dames compatissantes où il plaçait son bonheur. La formule de la « vita nuova » reviendra dans l’œuvre lorsque Béatrice récapitulera, en Purg. XXX, 115, les phases d’un amour qui est passé par la faute pour s’accomplir dans une fidélité sans rupture. Elle résume les pouvoirs de surgissement de la figure de Dante dans l’histoire.
Ce nouveau volume a permis à Bruno Pinchard de se donner, avec le Convivio déjà paru, une assise suffisamment inscrite au cœur de la passion dantesque, pour les dames comme pour les pouvoirs de l’intelligence, pour entrer dans l’Inferno et proposer une récapitulation, à la mesure de la Commedia, d’un destin qui n’est pas seulement un destin individuel, ni le témoin d’une vie seulement rythmée par le jeu de la faute et de la confession, mais qui devient, au fur et à mesure de son édification, un témoignage total sur les pouvoirs du langage quand il ne recule pas devant les exigences suprêmes de l’amour.